une petite nouvelle, une histoire courte

le gout des interdits
Je me lève du pied gauche, ce qui est plutôt rare, car ainsi, je me révèle de mauvaise humeur, cela gâche la journée. Un matin, énervé, j’ai mis une petite cuillère de moutarde dans ma tasse de café, j’ai poussé de grands cris, j’avoue que je déteste le jus confectionné de la sorte.
Je m’appelle Paul, j’aurais pu me nommer Pierre, manque de bol, c’est Paul. Pour certain, je suis Paulo, cela donne un air exotique, presque du moins. Mon épiderme s’avère blanc. Quelqu’un m’a affirmé hier que je devais en être fier, j’ai acquiescé sans en comprendre la cause. En fréquentant les bars, tout un chacun rencontre de drôles d’oiseaux. Certains ont, semble-t-il, perdu la raison. Accolé à un comptoir, j’ai égaré une pièce d’un euro, je crois que c’est moins grave, cependant je n’en suis pas persuadé.
Des savants, encore eux, ont découvert un médicament contre le virus bien connu, je refuse de le nommer, s’il se révèle si célèbre, vous êtes informé de son nom. Tchut, les malfaisants nous surveille.
Quand j’ai lu cette nouvelle sur Twitter, j’en ai sursauté : la « big pharma » tente de nouveau d’arrondir son paquet de dollars. Ils n’en possèdent jamais assez.
Je bois un petit noir, sans sucre, sans sel et sans moutarde. Je l’avale d’une gorgée. Un expresso très fort que je confectionne avec peu d’eau et beaucoup de café, presque de la crème de café, il réveillerait un mort. Un petit noir bien noir, je m’écroule de rire.
Le type que j’ai croisé hier soir, en buvant des bières, je le qualifie du mot banal. Tout parait commun en lui, des boutons boursoufflent sa peau ridée et grasse, la brillantine colle sa tignasse poivre et sel sur son crâne, son visage possède une forme d’olive. La main tremblante sur son verre, il me glisse à l’oreille qu’ils désirent nous interdire d’utiliser le mot noir. Il oublie d’identifier le pronom « ils ». Sa voix s’élève et il crie : garçon, un café bien blanc ! Le serveur s’appelle Alex. Celui-ci le regarde et lui demande avec ou sans lait. Il lui réplique « non, non merci, je l’aime bien blanc ! » Je lui conseille d’atténuer la mousse. Il ingurgite une gorgée de sa bière, s’essuie les lèvres d’un revers de la main. Il respire un bon coup. Il rote. Il me regarde et il m’interroge si c’est en raison de la blancheur de cette divine couronne qui orne sa boisson de houblon. Je le rassure, j’en raffole aussi, car j’en déguste, à la condition qu’elles soient biologiques.
La discussion qui a suivi me revient à l’esprit sans me prévenir.
—— Quel job exerces-tu ? Seuls les siphonnés du ciboulot sirotent de telles bières !
— Ma profession est celle de Naturopathe, presque une vocation ; j’aime aider mes semblables.
— C’est un peu comme les psychopathes.
—— Je suis presque un médecin.
— Si vous le dites, ce qui me gêne est le mot « presque », quand j’affirme que je suis presque arrivé au troquet, mon gosier s’avère encore sec.
Il sort dehors, il revient, il m’apprend qu’il vient de dégorger son plat de pâtes de dix-neuf heures, elles ont dû gonfler avec la bière. Je lui donne ma carte de visite, en lui précisant que mes tarifs s’élèvent à cinquante euros, la CPAM ne rembourse pas cette prestation. Il me remercie, car il s’en sert à l’égale d’un cure-dent.
— C’est pratique quand un bout de bidoche se coince entre les molaires !
Il me révèle que son ex-femme crève doucement d’une toux et de la fièvre. Elle s’est couchée, elle respire avec difficultés l’air. Il lui a conseillé une aspirine.
Je me rase de près.
J’ai pratiqué divers métiers avant d’arriver là : coiffeur, garçon de café, distributeur de prospectus, et j’en passe.
J’ai suivi une formation de trois mois, et je me suis recyclé dans la médecine d’appoint. Vingt élèves au sein d’une école doctorale privée en naturopathie écoutent les enseignements du fondateur, Fred. Diplômé en médecine vétérinaire, il s’est occupé de chevaux pendant dix ans à Los Angeles. Son aspect physique ne ressemble pas à celui d’une star du cinéma : un individu gras, tout ramassé sur cent-quarante-cinq centimètres avec les talons.
L’autre jour, j’ai assisté un fait invraisemblable, j’en suis encore perturbé.
Une patiente qu’il connaissait bien éprouvait des troubles gastro-entubique. Une maladie qu’il avait découvert, la médecine officielle refusait de la reconnaitre. Il se servait des tests qu’avait élaborés Jean Chrétien, un grand homme, au savoir méprisé par le personnel hospitalier. Le matin entre six et sept heures, si, en avalant une cuillère de vinaigre, tu ressentais de l’acidité qui parvenait au sein de la bouche, tu souffres de cette affection.
Elle s’appelait Juliette, petite, aussi large que grande
Il la fixa, au bout d’une demi-heure, elle tangua.
— Je la tiens, je la sers entre les mains !
Il devint rouge, ses cheveux se raidirent, il trembla.
— Je la remonte.
Quarante-cinq minutes plus tard au sol, vacillant et rempli de sueur, il bafouilla, de la bave sortit de sa bouche, elle dégoulinait sur le menton, goutte à goutte elle atteignit la chemise rose.
— J’ai saisi l’ADN entre mes doigts, et je l’ai modifié.
On l’applaudit. Juliette l’embrassa en lui disant merci.
La recherche scientifique me laisse toujours muet, j’ai encore beaucoup de travail à effectuer en vue de l’égaliser, le surpasser, ce n’est pas possible. Je me sens petit devant un tel savoir.
À mon cabinet, j’attends le premier patient, c’est une femme, Julia, elle a pris un rendez-vous.
Elle parait avoir vingt ans, une robe noire qui lui arrive à mi-cuisse, des cheveux blonds, un corps de rêve. Ébloui, je la laisse sans l’interrompre me raconter ses maux : de la fièvre, de la toux, des douleurs à la gorge, des souffrances aigües à la poitrine, des brulures intenses au sein des poumons et des difficultés à respirer.
Je l’invite à entrer au sein d’une pièce à côté, je lui demande de se déshabiller, je vais l’ausculter. En string et soutien-gorge noir, elle s’étend sur la table d’examen. Mon cœur bat la chamade, les sentiments n’en portent pas la responsabilité. Mes mains partent à la conquête de sa poitrine après lui avoir ôté le soutien-gorge. Je vérifie si les brulures ne proviennent pas des seins. Ses tétons gonflent.
Je retourne à mon bureau, elle me suit, je lui délivre une prescription de produits naturels. Je l’assure qu’ils devraient calmer la fièvre et la douleur d’ici quelques jours. Je l’invite à une réunion qui a lieu ce soir, j’y donne une conférence au sujet du bienfait du pissenlit à propos de la respiration. Il libère les bronches. Elle accepte en souriant, et me dresse un chèque de cinquante euros.
Une demi-heure plus tard, un vieux monsieur au corps rabougri entre à l’intérieur de mon bureau, il se plaint d’une voix vacillante de brulures au poumon. Je lui délivre une prescription de pissenlit à respirer le soir trois fois de suite. Cinquante euros rejoignent mon escarcelle.
Le patient suivant, un jeune homme de ²vingt-cinq ans, à l’aspect chétif et malingre, Damien, il souffre du diabète, sa forte fièvre l’inquiète.
— Une tisane de reine-des-prés calmera la douleur. Quant au diabète, je vous conseille d’arrêter l’insuline. Cette maladie chronique va en empirant, plus vous en prenez, plus le besoin augmente. La « big pharma » gagne des millions avec cette affection.
Il tousse à s’arracher les poumons.
— Vous voyez son effet. Une infusion d’orties et de laitue éliminera le sucre dans le sang.
Il a de plus en plus de mal à respirer, je saisis un bouquet de pissenlit, je le place sous son nez, je lui requiers d’aspirer à plein poumon. Il obtempère.
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