Latest posts

la pension de famille

Juillet arrive, il nous a surpris, pourtant le calendrier nous avait prévenus. Chaque année, il récidive. Mais cette fois-ci, un homme d’une trentaine d’années l’accompagne, un chapeau sur la tête, ses habits sombres paraissent étranges vis-à-vis du soleil. Il se renseigne auprès de ma mère si une place s’avère disponible, elle acquiesce. 

 — Je suis déjà venu par ici, voilà une quarantaine d’années, lui apprend-il.

 — À Azur ? questionne-t-elle.

 — non, par-là, autour et ailleurs, lui réplique-t-il.

Il se tait. Elle lui donne la clé de sa chambre, il lui requiert l’heure des repas. Elle lui indique que le petit-déjeuner se prend entre huit et neuf heures, les clients mangent à treize heures et ils dinent à vingt-et-une heure. Je le regarde gravir péniblement les escaliers avec ses valises qui ont l’air lourdes. Elle nous demande de l’aide pour le déjeuner. Moi et ma sœur, nous nous dirigeons vers la cuisine, elle mettra le couvert, et, moi, je préparais l’ailloli, et je composerais les entrées. Pendant les vacances, nous mangeons entre le congélateur et le réfrigérateur pendant que les convives occupent une grande pièce, quatre tables rondes de quatre personnes se révèlent à leur disposition. Un congélateur, cela ronronne comme un chat, j’en suis toujours étonné.

L’homme étrange descend et requiert à ma mère la possibilité de prendre ses repas seul, car la présence des autres l’indispose, il aime plonger au sein de ses réflexions. Je lui montre la salle où nous bouffons et lui signale que la quatrième table peut être dressée, mais nous ne lui garantissons pas que personne ne vint s’installer vers lui. Il grimace et remonte à l’intérieur de sa chambre. Je regarde ma mère, elle hausse les épaules, il me parait louche, il prépare peut-être un mauvais coup. Elle me demande si j’ai croisé mon père ce matin, je lui réponds non. Elle me requiert d’aller le chercher.

Je le déniche à l’intérieur de son atelier, il immortalise des papillons, il les a d’abord desséchés au sein d’une boite hermétique à l’aide de gel de silice. Il est en train d’en piquer un avec une épingle, il le fixe sur morceau de liège. Ensuite, il le colle dans un cadre. Une fois que d’autres seront venus le rejoindre, il le ferme avec une plaque de verre, il la rend étanche avec de la silicone.

Une fois vers ma mère, celle-ci lui dit qu’elle a besoin de lui, la période des vacances est arrivée.

 — J’ai un projet d’une peinture sur l’océan, évoque-t-il.

 — Moi, je me charge de remplir la marmite, tu imiteras Picasso plus tard, le royaume de Neptune attendra. Il a tout son temps, lui rétorque-t-elle.

 — Je sais, j’ai toujours l’impression, que la toile qui me révèlera se situe au bout de mes doigts, elle ne se presse pas, du moins, elle ne correspond pas au gout des gens, miaule-t-il.

 — Moi, je reste plus terre à terre, cette maison nous donne à manger. Si le succès doit arriver, il viendra, sinon, comme tant d’autres, tu te contentes de ce que ta vie t’offre, couine-t-elle à l’image d’un serpent qui crache son venin.

Ma mère est la tête censée du couple.

À l’heure du repas, moi et ma sœur, nous apportons les assiettes de hors-d’œuvre. Madame Edwige Grissac, une habituée de la pension me déclare que j’ai grandi depuis l’année dernière. Célibataire, ses cheveux gris n’abandonnent jamais le chignon, elle séjourne ici quelques jours chaque année depuis dix ans. Elle a fêté ses 65 ans au premier jour de l’an, elle se repose, son ancienne vie de commerçante l’a épuisée. Paul Vanda parait hypnotisé par Lucie, un homme qui a franchi la quarantaine loge une trentaine de jours ici au mois de juillet depuis une dizaine d’années. L’inconnu, seul à sa table, regarde par la fenêtre, son allure maussade ferme toute idée d’échange. Quelques nouveaux pensionnaires prennent leurs repères en s’informant sur la vie aux alentours. Un couple âgé désire se rendre vers l’océan cette après-midi. Le mari s’appelle Émilien et sa femme, Suzanne, ils demeurent à une cinquantaine de kilomètres, deux personnes qui ont atteint leurs soixante-dix ans sans s’effrayer. C’est si calme par ici, tout un chacun peut trouver le temps de vivre, la mort attendra encore un peu.

L’énigmatique, qui se nomme Grégoire Lumier, m’intrigue. Le fait qu’il ne parle pas ne me choque pas, mon père est un homme silencieux, enfermé au sein de son atelier, il subsiste au milieu de ses tableaux, sa gouache, ses pinceaux et ses papillons. Il a rempli les combles de ses peintures qui ne se vendent pas, cependant quelques-uns ont trouvé preneur, par moment il manque d’inspiration, il reste assis, le corps vidé devant la pâleur de la toile. Le blanc marque le défaut, même l’envie de balancer un coup de gouache s’est fait la malle. Pourtant, il a du talent, il en est persuadé, il l’affirme, le public est trop bête, ou, lui, il est trop en avance.

Après le service, nous mangeons à la cuisine, à tour de rôle, un de nous s’occupera de la plonge. Ce service, c’est un peu le bagne, heureux que tu mettes des gants, sinon tu as les mains crevassées.

Les pensionnaires bénéficient d’une pièce aménagée de loisirs, avec une télévision, des revues et des livres. Le soir, seul le son d’un film ou d’une émission de variétés comble l’espace, mais Grégoire s’est enfermé à l’intérieur de sa chambre.

Le lendemain au réveil, ma mère m’attrape et me demande de me dépêcher, puisque je suis obligé de venir l’aider à préparer le repas du matin. Je me sors du lit avec difficulté, une douche, habillé, je la rejoins, je dresse la table, elle part au marché en vue d’acheter des victuailles fraiches. Le petit-déjeuner se compose de pain, mais aussi de biscottes, de confiture et du beurre, mais on ne les présente pas en vrac. La mise en place exige du temps. J’attends que les premiers pensionnaires arrivent, je leur demande leur préférence. Un désire un jus allongé, certains souhaitent un serré, d’autres se jettent sur un café au lait, le thé c’est plus simple, les sachets sont à leur disposition sur la table.

Émilien et Suzanne jaillissent les premiers, ils m’avouent leur éblouissement à la vue de l’océan chaque année, il se renouvèle, ils se sentent minuscules devant cette immensité. L’air iodé les enveloppe et les charme. Elle opte en faveur d’un thé à la menthe, lui succombe toujours au café serré. Les autres surgissent. Grégoire boit deux petits noirs en parcourant un livre, la tête plongée au sein de sa lecture, il oublie le monde où il vit. En sortant, il me demande si j’aime l’océan, je réponds par l’affirmative. Il se tait, il remonte à l’intérieur de sa chambre d’un pas lent et lourd, comme si une journée de travail l’avait exténué. Paul s’inquiète de l’absence de Lucie, je le rassure, elle dort ce matin. Il me sourit. Jules et Bérénice Drapiè, un couple de pensionnaires âgé d’une cinquantaine d’années. Elle, tout le monde la décrit en tant que femme hautaine aux cheveux auburns. Tandis que, lui, tout un chacun le peint à l’égal d’un homme élancé, mais sa réserve naturelle en présence de son épouse le rend sans âme. Ils échangent avec Edwige au sujet de l’étang de Soustons, ils s’éternisent. Jean Morand, qui a fêté ses quarante ans, s’enquiert du lycée que j’ai fréquenté, il me précise que les grandes villes paraissent éloignées, du moins, il n’en a pas aperçu, il est venu pour cette raison. Je lui réplique que je vais à celui nommé Haroun Tazieff à Saint-Paul-lès-Dax, à une dizaine de kilomètres d’ici.

 Une fois que le service du petit-déjeuner se termine, je débarrasse, je prends le mien, mon père arrive à l’égal d’un somnambule nettoie cette pièce. Il passe l’aspirateur partout. L’art doit lui manquer. Lucie jaillit, elle se prépare un thé et quelques biscottes et de la confiture.

 — Grégoire aime l’océan, lui apprends-je.

 — Je n’en ai rien à cirer, c’est sa vie, ce n’est pas la mienne, me rétorque-t-elle.

 — Je dis cela pour causer, lui réponds-je.

Elle a une humeur exécrable, ma mère aussi, les liens du sang s’en révèlent responsables, moi, ils m’ont épargné, j’en suis persuadé. Je suis plus communicatif, je suis moins cactus, voilà ce qu’elle est, cette plante ou une ronce.

 — Qu’est-ce que tu baragouines, je vois tes lèvres qui remuent ? me questionne-t-elle.

 — Je me disais que le soleil va briller aujourd’hui, lui répliquè-je.

Sa main droite soutient sa tête, elle boit son thé et regarde le plafond. À mon avis, elle me baptise. Je murmure alléluia, elle soupire. Ma mère revient, nous l’aidons à ranger.

Mon père surgit et me demande si c’est sérieux, ce que j’ai déclaré à mon grand-père à propos de mon futur. Je reconnais que j’ai parlé de ne pas m’éloigner de l’océan, je n’ai pas évoqué un métier ou une orientation, car, là, j’ignore la teneur de ma vie d’ici quelques années. J’avoue que cet avenir me parait encore chimérique. L’univers professionnel, je n’arrive pas à le percevoir. Lucie me souffle que je devrais déjà avoir une idée, une vue d’ensemble, savoir au moins ce que je ne désire pas. Je la fixe et je lui susurre que je devrais faire chauffer la marmite plus tard. Ma mère me réplique si elle s’abstenait à cette obligation, nous vivrions d’amour et d’eau fraiche. Je me sers un verre d’eau, et je l’informe qu’il me manque l’amour. Elle m’ordonne d’éplucher les pommes de terre. Mon père s’en va. Lucie sourit.

Posted in: Écrits en attente

Leave a comment