une petite nouvelle, une histoire courte

Mes grands-parents
Cette après-midi, j’enfourche mon vélo et je file vers le l’empire des ondes. Un de mes grands-pères, German, va à la pêche, je l’accompagne. Je ne sais plus si ce prénom possède une origine béarnaise ou gasconne, ce n’est pas commun en France. Un grand homme sec dont la chevelure a abandonné la couleur du jais, elle a ravi celle de la neige.
Paul est mon autre grand-père, il vit au sein d’un monde dissemblable. Celui-ci ne m’emmènerait pas à la pêche.
Je rejoins German au Vieux-Boucau-les-bains, il y habite avec ma grand-mère, Viveta, une femme vive et énergique. Elle me demande des nouvelles de mon père, ils n’en ont pas obtenu de lui depuis un mois. Elle s’est toujours inquiétée de son sort, en étant artiste, il s’est montré différent de ses autres enfants. Ces derniers exercent des métiers artisanaux. Mon grand-père me force à partir, si je désire pêcher.
Nous allons en voiture au Capbreton. Son bateau est amarré là-bas, on appellerait plutôt un rafiot, une petite embarcation à rame et une voile, une empreinte méditerranéenne sur la cote gasconne. Le port s’avère important, mon grand-père a compté plus de mille anneaux d’ancrages. Des modèles immenses, certains de luxe, d’autres communs, le sien détonnent au milieu de cet ensemble bigarré. Il dispose quand même d’un moteur, pratique en vue de sortie de ce parking maritime. Après il met la voile, le vent le porte, parfois il souque, la tête qui embrasse les genoux, s’il ne souffle pas assez. Il a pris un filet, on va le lancer quand on se sera suffisamment éloigné de la côte.
— Quelle profession veux-tu exercer plus tard, fiston ? me demande-t-il.
— Je ne sais pas, je réfléchirai, je vais trainer au sein d’une faculté de lettres pendant une année, puis je choisirais une formation qui répond à mes attentes. J’aimerai un métier qui me rapproche de l’océan, j’adore cette odeur iodée, cette masse inerte qui par moment devient un monstre me fascine.
— Tu pourras travailler sur la côte, tu ne le quitteras pas.
— Je chérirais d’être en contact à chaque instant avec lui.
— On ne fait pas toujours ce qu’on désire. Et les gazelles, en as-tu déjà capturé une ?
— Elles courent vite.
Il baisse la voile. Il lance le filet, et décrète qu’ils attendront une demi-heure.
— je n’en ai pas besoin de beaucoup de poissons, précise-t-il.
Parfois, il revient s’en être sorti un seul hors de l’eau. Ma grand-mère les achète sur le marché, elle ne compte pas sur son activité halieutique. Avant de prendre sa retraite, il travaillait en tant que cordonnier, le monde de l’océan n’est pas son domaine. Mon arrière-grand-père exerçait le métier de marin-pêcheur. Ce dernier a rencontré la faucheuse à mes six ans. Mon grand-père ne s’intéressait à un tel gagne-pain, sa pénibilité l’effrayait. Il parle de son père avec des regrets plein la voix.
Il soulève le filet, je l’aide, du poisson s’est empêtré au travers des mailles, il s’en montre sûr. De la résistance s’oppose à notre traction, il les laisse s’échapper, la prise s’avère trop grosse pour nous.
— cela devait être un requin ! souligne-t-il.
Je ne réponds pas. En vue de rentrer, je rame, le vent n’est violent, il a tendance à nous éloigner du port.
— Mon père a toujours vécu au gré des flots, gémit-il :
Le silence s’installe, il regarde l’horizon sans fin.
— Ma mère n’était jamais tranquille quand il partait, alors, moi, j’ai préféré que les semelles des chaussures ne quittent pas la terre, poursuit-il.
Le soir, je reste souper avec mes grands-parents, ma mère ne sera pas contente, personne ne l’a prévenue. Nous mangeons une terrine de poisson au basilic accompagné d’un gratin de pommes de terre, nous parlons de l’océan, de la pêche et de mes arrière-grands-parents. Mes deux arrière-grands-pères étaient marins-pêcheurs, du moins dans cette branche familiale. En rentrant, je me dépêche pour pédaler, l’orage maternel m’effraie. Ma montre indique vingt-deux heures à mon retour, la tempête manque d’intensité, elle ressemble à un coup de vent.
Nous devons nous méfier de ce qu’on exprime à ses grands-parents. Le ciel m’en est témoin. Je n’ai jamais dit que je voulais devenir marin. Eux, ils l’ont compris ainsi. Ils ont demandé la confirmation à mon père. Je l’ai nié. J’aimerais rester vers l’océan, et je ne sais quel métier l’exercerait.
L’histoire aurait pu en demeurer là, la vie en est témoin, parfois, je dois supporter une sœur. Le paradis connait toujours un enfer ; sinon comment voulez-vous l’apprécier. Elle s’appelle Pauline.
Mes grands-parents de l’autre branche familiale m’ont requis de venir les voir, j’ignore la raison de cette demande.
Le matin au réveil, la joie ne m’emballe pas, me rendre à leur domicile ne m’enchante pas. Ils manquent de naturel, ils vivent au sein d’un monde où tu joues un rôle social, la société t’a assigné une fonction en rapport avec ton métier. Un univers de marionnettes où tu n’es pas ce que tu es, tu es ce qu’on veut que tu sois.
En début d’après-midi, je me rends à Moliets-et-Maa, ils habitent cette petite ville au bord de l’océan. Une maison importante qu’on est en mesure de qualifier de villa, une barrière d’arbuste de haie l’entoure et empêche les yeux indiscrets de regarder à l’intérieur de leur propriété. Ce mot se révèle sacré chez eux. Ils aiment qu’on remarque qu’un bien leur appartient.
Je sonne, mon grand-père m’ouvre, il me sourit, j’entre avec mon vélo, je le pose vers un arbre qui s’ennuyait tout seul. Il m’interroge si cela va, je lui réponds par l’affirmative. Ma grand-mère gracieuse vient à ma rencontre, le jardin devant la maison s’avère grand, une table blanche et des chaises nous attendent. Elle a préparé des boissons et des gâteaux.
— As-tu pensé à ton avenir professionnel ? me demande mon grand-père.
— Je n’ai pas d’idée précise à ce sujet, lui répliquè-je.
— Pauline nous a appris que tu voulais devenir marin, me rétorque-t-il.
— Elle a mal compris, je disais simplement à mon père que j’aimerai rester au bord de l’océan, expliquè-je.
Je vais tuer Pauline.
— Avec un tel métier, on ne gagne pas grand-chose, et l’on travaille beaucoup, on n’a pas la possibilité d’acquérir quoi que ce soit, intervient ma grand-mère.
Ils me conseillent une profession juridique, car, lui, il a exercé celle de notaire. Ma mère m’avait raconté lorsqu’elle leur a dit qu’elle voulait devenir poète, son père, suffoqué, lui a demandé de répéter plusieurs fois le mot. Sa mère lui a répliqué que cette activité ne constitue pas un emploi. Les troubadours du moyen du moyen âge représentaient des mâches-laurier, mais aujourd’hui on aspire à être un notable, si l’on est né au sein d’une famille aisée.
Je bois mon jus d’orange en me remémorant certains épisodes qui font rire ma mère. Je la revois un soir nous retracer une péripétie de sa vie.
Au lycée, elle s’était liée avec un jeune dont le look évoquait le mouvement hippie, sa chemise à fleurs se mariait à un pantalon rose, ses cheveux longs s’accommodaient de ses lunettes à la John Lennon. Un blouson avec des broderies de toutes teintes autorisait de le reconnaitre de loin. Aucun amour pour lui ne la troublait, elle partageait des loisirs, des idées de paix et de tolérance. Au lycée, au bar à côté, on buvait un chocolat ensemble en écoutant de la musique, une amitié qui ne laissait aucun espoir d’une relation plus intime. Un mercredi après-midi, il vint à la maison, sa mère tenait une pile d’assiettes entre ses mains, en le voyant elle se fracassa au sol.
— Qu’est-ce que cet énergumène ? Il n’était en état que d’être un romanichel, un gitan ou un traine-savate. Mon Dieu, protégez-nous ! se chuchota-t-elle.
Elle bruita à l’exemple d’une biche effrayé au passage d’inoffensifs promeneurs au sein de la forêt.
Après que, le départ de son copain, elle lui demanda si ses parents allaient à la messe le dimanche, elle lui répondit par la négation, puisque, le samedi, ils se rendaient à la synagogue. Affalée au milieu de son canapé, elle lui aurait dit qu’elle était tombée enceinte ou qu’elle avait commis un crime, le résultat ne s’avérait pas différent.
Je croque un gâteau. Je reste l’après-midi avec eux, ma grand-mère me montre ses fleurs, elle passe de nombreuses heures à leurs soins. Mon grand-père me conduit vers une pièce où il a installé sa collection de soldats de l’Empire, il admire Napoléon.
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