Latest posts

Amazonie

Je me nomme Bernados, voici trente ans, je naissais à Rio de Janeiro. Ce temps me parait si, loin, cette ville semble si distante de moi.

Enfant, je courais à l’intérieur des favélas, la mienne s’appelait Rocinha. Des marches, des rues étroites, des maisons de bric et de broc, tout s’entasse. J’ai grandi au milieu des rires, des chants, des cris et des pleurs.

Je n’allais pas souvent à l’école, je jouais au foot au travers des chemins avec des boites de conserve. Quand la police arrivait, un branlebas de combat agitait la favéla, tout le monde courait dans tous les sens. Le lendemain, au milieu de mille gamins et adolescents, je dévalais à Rio, je volais, je cassais, et je remontais au sein des favélas.

À treize ans, une prime bluette m’a ouvert les yeux sur un autre univers. Elle s’appelait Paloma, j’ai chanté pour elle, je lui ai récité des vers. Elle avait mon âge. En dépit de notre juvénilité, nous nous étions promis un amour éternel. Il aurait dû briller à l’égal du soleil, il ne meurt jamais.

 Mes copains d’alors regardaient notre histoire d’un mauvais œil, la jalousie se mâtinait de rancœur.

Des bruits ont commencé à courir à son sujet, des rumeurs sur ses prouesses sexuelles, je jouais les coqs de combat au sein de cette bassecour. Mais les adversaires faisaient défaut, ils préféraient les médisances. Tout un chacun fait plus de mal avec des mots qu’avec des poings, je l’ignorais à cette époque.

Puis, quelqu’un vient me prévenir que plusieurs jeunes avaient entrainé Paloma à l’intérieur d’une maison en bois, ils la forçaient à boire plus que de raison. J’ai couru comme j’ai pu, haletant, je pousse la porte, j’appelle Paloma, elle ne répond pas, un cul nu s’est placé entre ses cuisses, je ne perçois que la blancheur de ses fesses. Je l’insulte. Quinze d’entre eux me sautent dessus, à coup de poing, de pieds, ils me détruisent, un me brise une chaise sur le dos, un autre m’assomme en fracassant une bouteille sur ma tête.  

Encore sonné, je me relève deux heures plus tard, la pièce s’est vidée, des verres d’alcool trainent au sol, du sang coule de mon visage. J’ai mal.

De retour à la vie, on me regarde en souriant, puis un bruit court, en imitant un vent violent, il se glisse au sein des ruelles, des couleurs et des détritus : Paloma s’est pendue. J’ai hurlé à réveiller les morts. Mes cris se sont écrasés contre les murs. J’ai brisé mes mains contre la muraille. J’ai juré sur la tête du très haut et très puissant que je me vengerais.

Ses parents l’enfouissent dans la terre. Mon existence brûle, mon corps tremble.

Quelques jours plus tard, ils se réunissaient à nouveau dans la même maison. Avec des copains, je place des camions devant les sorties, ils ne peuvent plus s’échapper, des bidons d’essence sur cette baraque en bois, j’allume le feu. Mes yeux pétillent. Ils hurlent, ils appellent au secours, je jouis de leur souffrance. Les flammes ont tout consommé sans s’occuper de leurs beuglements, je me serai cru à l’intérieur d’un abattoir quand on pend à des crochets des bœufs vivants. Le brasier s’est propagé, des dizaines de morts en a résulté, j’ai fui.

Je me suis arrêté au sein des rues de Brazzaville pendant plusieurs années. Je subsistais de mendicité, de vol à l’étalage et de prostitution. Je baissais mon pantalon, des hommes s’enfonçaient en mon derrière.

Après j’ai vécu de ville en ville. Une personne m’a dit que certains voulaient encore me tuer. Tout le monde a oublié Paloma.

Aujourd’hui, j’ai trouvé un travail à Barcelos, au milieu de l’Amazonie. Je participe à l’exploitation du bois, l’entreprise abat, elle coupe, elle taille les arbres de toutes espèces, puis elle les descend à Macapa en suivant le Rio Negro. La richesse du Brésil se situe au sein de la forêt amazonienne, tout le monde le dit à longueur de journée, je le crois, puisque je m’en aperçois par ma besogne. Elle m’offre ma pitance et un lit.

Elle a implanté les chantiers à l’intérieur de la forêt, les salariés avancent en détruisant tout. Leur tâche consiste à saccager tout ce qui reste debout, ils anéantissent la biodiversité sans que ce fait les chagrine. On vit entre nous, coupés du monde. 

Ma fonction est celle de scieur en long, je débite les troncs. Je travaille souvent avec Miguel et Pedro. Si nous voulons gagner quelques sous, nous abandonnons beaucoup de sueur. La sciure me colle au visage, je la respire, je la recrache, elle adhère aux cheveux. Cette odeur granuleuse rentre à l’intérieur de tous mes pores. La forêt amazonienne engendre la peur du noir et de l’inconnu.

Ce matin, j’ai aperçu des indigènes d’ici, avec des plumes, des arcs, et des coupecoupes locaux.

— Le Brésil les a-t-il civilisés ? me demande Miguel.

Je hausse les épaules.

— Ils ont l’air bien sauvages, intervient Pedro.

Ils ne semblent pas méchants, je continue ma tâche.

Le soir, autour d’un feu de bois, la discussion reprend.

— Il parait que les tribus indiennes détiennent des secrets et de l’or, glisse Miguel

— Ils vivent au sein de taudis, même les favélas sonnent l’impression des palaces à côté de leur camp, souligne Pedro.

— Le métal doré ne représente rien à leurs yeux, leur signalé-je.  

Puis nous allons nous coucher, ici nous subsistons en célibataire en carence de femme. Je me retourne au sein de mon lit, l’intimité n’existe pas, vingt lits de camp sous une tente, nos habits à l’intérieur d’un sac sous le sommier. On lave le linge au fleuve, on les frotte avec des graviers dans le but d’ôter la saleté.

Posted in: Écrits en attente

Leave a comment