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Mon fils m’attend

Je m’appelle Diana, 25 ans, je suis New-Yorkaise, ma peau possède la couleur de l’ébène.

Je bosse au sein d’un hôtel, je nettoie après le passage des blancs. Bonjour la crasse ! Le fric déborde des poches, mais ils ne disposent d’aucun savoir-vivre. Les femmes jettent les serviettes hygiéniques au sol, les hommes se masturbent sur les poignées des portes que je suis obligé d’ouvrir.

Je viens d’en quitter un. Il rassemble à taureau court sur pattes, mais musclé à l’image d’une armoire, il m’a balancé une peau de banane en plein visage. S’il pouvait mourir de ce virus qui court à l’égal d’une charogne.

Je gagne cinq dollars de l’heure, les insultes forment les primes.

Un mec m’a engrossé. Mon fils se nomme James, il vient d’avoir cinq mois. Je le laisse seul quand je vais me casser le dos à l’hôtel. Cela ne constitue pas un choix, je ne dispose pas d’une autre possibilité.

Depuis hier, je ne détiens plus rien à manger, James pleure, la faim le torture. En ce qui me concerne, ce n’est pas la première fois. Crier famine en copiant honteusement la cigale du poète français me parait habituel. Durant mon enfance, j’ai connu des moments où ma mère en fouillant partout ne trouve même pas un bol de riz. En s’excusant, elle m’annonçait que je pratiquerais un régime pendant quelques jours. Je n’avais que la peau sur les os. L’après-midi, je frappais une gamine à l’épiderme laiteux, petite et grassouillette, je lui volais ses barres chocolatées, je les mangeais à l’image d’une goinfre. Les fillettes blanches sont toutes obèses à force de s’empiffrer de délices sucrés hors de prix.

J’ai mis au courant Willy, le portier, mon besoin d’argent, mon fils a faim. Il me prévient des dangers du Covid-19 qui se répand partout. Je sais que parfois je croise des gens qui toussent, je ne prends pas de précautions particulières. Les informations qui tombent me paraissent confuses, elles se révèlent incapables de te donner une ligne de conduite.

Gloria une femme qui travaille avec moi me glisse qu’un vieux monsieur m’attend, Willy lui a parlé de moi, chambre sept-cent-deux, le lieu où j’obtiendrais quelques dollars, dans le but que mon fils mange.

Je frappe, une voix rauque me demande d’entrer, un homme chauve, gras, petit et bedonnant. Il ouvre sa robe de chambre, un sexe dressé patiente, il exige que j’approche, je m’agenouille. Il me tient la tête. Il y pénètre et en sort brutalement. Il me traite de tous les noms, je suis réduite à l’état de singe. Après avoir joui, il m’offre vingt dollars, si je lui sers d’urinoir, à genoux au milieu de la douche, il vide sa vessie, il me force à avaler. La nausée me secoue, je cours aux toilettes, je vomis. Son pied presse ma tête sur la cuvette, il relève ma jupe, descend mes collants et ma culotte, il me sodomise d’un coup sec. À la fin, il m’oblige à me mettre debout en me tirant par les cheveux, il me donne cinquante dollars. Il me jette dans le couloir d’un coup de pied.

Gloria m’attrape et me conduit à l’intérieur d’un vestibule qui contient nos produits et ustensiles pour le travail ; le personnel y trouve également un w.c. et un lavabo. Elle m’asperge mon visage d’eau, j’ai du mal à respirer.

— Cet homme s’avère immonde, je n’ai jamais rencontré un être aussi abject, m’exclamé-je d’une voix haletante.

— Il possède la nationalité française, écrivain, il vient ici lors de ces séjours à New York. À chaque fois, ses pratiques révulsent. Il a même violé une ancienne femme de chambre. Contre un chèque, elle s’est tue.

 Je dégurgite encore. Cette odeur acide au fond de moi m’écœure, mon corps la rejette. Gloria pense qu’elle provient du vin français, il ressemble à du vinaigre. Leur bordeaux s’avère utile en vue d’ôter le calcaire des toilettes. Si nous le laissons tremper pendant une demi-heure, il ne reste plus rien. Tant bien que mal, ma journée se termine. En sortant, Willy m’attrape et me force à entrer à l’intérieur d’un corridor, je lui dois une commission. Il descend sa braguette, je me mets à genoux, son sexe me défonce la bouche.

Une fois la tâche accomplie, je cours dans le but de rentrer chez moi et d’acheter à manger. Ce matin, il pleurait, cette pensée m’attriste, des larmes coulent sur mes joues.

Au magasin, la caissière portait un masque, un client derrière moi toussait, une grosse dame se plaignait de respirer avec difficultés. Personne ne parle de prendre des précautions à l’hôtel. Travailler avec ce masque sur le nez ne se relèverait pas facile.

Arrivant devant son bâtiment, une femme blonde grasse et courte sur pattes se précipite vers moi.

— Au lieu d’aller draguer tous les hommes, vous feriez mieux de vous occuper de votre fils, il a pleuré toute la matinée. Vous devrez penser à vos voisins.

Je monte en courant au dernier étage, j’habite au sixième. Un deux-pièces avec cuisine, une douche, ce logement représente la moitié de mon salaire.

Parfois, je désespère.   

J’ouvre la porte, il dort, je lui prépare un biberon, il le boit avidement, il ne saura peut-être jamais ce que m’a couté son repas. Je pleure. Son doigt empoigne mon auriculaire. Le courage d’affronter la vie me reprend.

Vivre est un combat. Quand j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai craqué.

Un soir, j’avais bu au sein d’un bar égaré au milieu du Bronx, quatre hommes m’accompagnaient, je ne les connaissais pas. Mon verre se remplissait sans que je débourse un dollar, je profitais de l’occasion. Ils débarquaient de la planète mars et s’étaient perdus à New York, alors bonne pomme, je leur ai tenu compagnie. En s’y extirpant, les uns derrière les autres, ils me sont passés dessus.

Une de mes amies m’a conseillé d’arrêter de jouer les serpillères les soirs de sortie. Elle dit que mon rôle se réduit à imiter les carpettes pour que les messieurs vident leurs testicules. Elle n’aime pas mes hommes, elle préfère les femmes, ceci explique peut-être son appréciation. J’avoue, le lendemain, que je ne me souviens pas de grand-chose.

Je me montre incapable de donner une tête au père de mon fils, ni même un prénom. Si un jour, il me demande, j’inventerais une histoire d’amour. Identique à celles à l’eau de rose, elles font pleurer, en les lisant, je crois à l’amour, puis je redescends sur terre, je vomis au milieu des toilettes.

Je lui souris, je lui dis, je t’aime, je l’embrasse.  

Quinze jours plus tard, je tousse, j’ai attrapé la grippe, elle vit sa vie à l’hôtel. Gloria n’arrive plus à respirer, elle crache partout, elle doit travailler, si elle veut manger tous les jours. En se trainant, elle accomplit sa tâche. Je l’aide tant que je peux. Mais madame Catherine surveille. Une vieille femme blanche, sa peau ridée me donne des frissons, ses yeux n’offrent aucune expression, le vide, une allure squelettique, quand elle marche, j’entends presque le craquement de ses os. De temps en temps, elle jaillit et inspecte notre travail. Le moindre écart, tu peux déposer ton tablier et chercher de l’embauche ailleurs.

Mon fils commence à tousser, je m’inquiète, je ne dispose pas d’assez de dollars en vue de le conduire au médecin. Le dispensaire, ce matin en passant devant, j’ai aperçu une queue phénoménale, à se persuader que tout le monde a la grippe. Je me demande si je n’imite pas ses femmes en déni de grossesse, je refuse de regarder en face le Covid-19. Tous les gens qui vivent autour de moi ne croient pas à son existence.

Personne ne le voit, personne ne l’entend pas, il ne devient qu’une raison en vue de réduire nos droits, si l’on possède encore. J’ai le droit de manifester avec une banderole, celui qui dispose du pouvoir de changer la vie détient celui de tourner la tête, et de nier nos revendications. Chacun accroché à ses droits, nous ne dansons pas la même farandole.

Quelques jours plus tard, en tenant mon fils entre mes bras, je me place au sein de la file d’attente. Devant moi, un vieux noir n’arrive plus à respirer, rabougri, s’agrippant à un mur, il retarde le plus possible le moment fatal. Deux jeunes derrière moi dansent entre deux toux. Le temps passe. Mon enfant pleure, fatiguée, vaincue, je rentre.

Je n’ai plus qu’à faire le tapin si je veux aller au médecin. 

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