une petite nouvelle, une histoire courte

Verger sous-bois
La lune éclaire un cimetière. Placé près d’une vieille église, son clocher lui fait une ombre, la journée, quand le soleil brille. Un petit bois sur son côté est lui apporte d’une peu l’humidité appréciable au mois d’aout. Sinon les pierres chauffent.
L’horloge de la mairie indique trois heures du matin.
Le village, Verger-sous-bois, c’est un lieu presque oublié, il vit paisiblement. Quatre-vingts habitants si nous comptons les chiens perdus, la moitié ont plus de soixante ans. Ils mettent encore le cœur à l’ouvrage. Le père Petiot a plu de quatre-vingts, il mène toujours les vaches au labour.
Moi, je suis Damien, j’écris, j’ai loué une maison ici. Je regarde la lune.
Anne-Lise rentre chez elle, Jean, le garçon de ferme de la famille Petiot, l’appelle et lui demande ce qu’elle fait dehors en pleine nuit. Le loup-garou risque de bien de sortir. Elle lui rétorque la même question. Il avoue qu’il trouve un plaisir à contempler les sépultures. Il imagine que les morts se baladent la nuit en poussant légèrement les pierres tombales.
Anne-Lise a dix-huit ans, elle est étudiante en droit. Jean vit au sein d’une cabane en bois au fond d’un champ de la famille Petiots. Cette famille a le cœur sur la main, Jean a débarqué au village à l’âge de douze ans. Ils lui ont offert cette demeure en échange d’un travail. Aujourd’hui, il a atteint ses vingt ans. C’est approximatif, personne ne connait sa date de naissance.
Jean est heureux ainsi, et monsieur le curé s’est réjoui de cette bienfaisance.
Ensemble, ils poussent la clôture du cimetière. Je ne vois plus rien, c’est regrettable, je suis écrivain, je peux imaginer des tas de choses. Un quart d’heure de plus, j’entends Anne-Lise crier. Je sors et je me dirige vers la dernière demeure des morts. Après avoir poussé les grilles, je constate qu’il le vide en inspectant les tombes une à une. Une culotte rouge est posée sur celle du Pére Gouinard.
J’appelle la gendarmerie. Une heure plus tard, deux pandores s’extirpent de leur automobile et me rejoignent au cimetière. Un est maigre, j’en ai peur, et l’autre est gros et petit, en fait, c’est un peu Laurel et Hardy. Je leur décris, le frêle hoche de la tête. Le gras roule des yeux. Ils parcourent le cimetière. Ils stoppent sur la tombe du père Gouinard. Ils lisent Alfred Gouinard, né en 1875 et mort le 15 juillet 2022. Le squelette ambulant ôte son képi et se gratte le crâne et déclare qu’il a rencontré la faucheuse à cent-quarante-sept ans. Je leur raconte ce que j’ai appris à son sujet. Il vivait à l’intérieur d’une petite maison en bois dans la forêt communale, des rochers délimitaient sa demeure. Il défendrait son domaine avec un fusil de chasse si vieux que plus personne n’en voit des identiques. Tout le monde s’épouvantait quand il descendait au village. Moi, je me souviens surtout que même un putois sentait bon si on le comparait à l’odeur qu’il dégageait. C’était une boule puante qui marchait. Il élevait une dizaine de cochons, ils errent au milieu de la forêt, une meute de loups s’est installée dans les bois. Le père Gaspard dit partout qu’il y a aperçu un chacal doré. J’explique aux gendarmes que les porcs se sont sans doute transformés en festin pour les loups.
Ils acquiescent.
— Les honnêtes gens somnolent la nuit. Comment justifiez-vous que vous espionnez vos voisins la nuit ? Me questionne l’enquêteur grassouillet.
— Je suis victime d’insomnies, je dors peu.
Ils m’interrogent sur ma vie. Ils sourient lorsque je leur dis que je suis artiste.
Le matin se lève. Une équipe de la gendarmerie composée de nombreuses personnes envahit le cimetière. Des curieux approchent. Les militaires les refoulent.
À huit heures, ils me laissent partir, je vais acheter une baguette, chez la mère Françoise, elle tient un dépôt de pains, une épicerie, et un bureau de tabac. C’est une femme d’une quarantaine d’années qui a gardé une certaine prestance, et une allure encore sexy. Elle plait toujours.
Sa fille Angélique l’aide, elle est étudiante. Parfois son mari apporte son concours. C’est le lieu de vie du village. Je demande ma baguette, je reçois une avalanche de questions. Je raconte ma nuit.
— J’ai toujours su que le Jean était un gars louche. Il a abusé d’Anne-Lise.
— Ils ont disparu ensemble.
Une vieille personne arrive, ils commentent le sordide viol d’Anne-Lise. Je m’en vais avec ma baguette sous le bras. Angélique me rattrape. C’est un beau brin de fille, blonde platine, habillée d’un short moulant noir et d’un teeshirt blanc. Elle me raconte que Jean l’avait coincé au sein de la grange, il l’obligea à lui procurer une gâterie. Elle m’explique qu’elle a eu mal à la mâchoire pendant une semaine. Tant qu’il n’est pas arrêté, elle n’est pas rassurée. Je lui souligne que je n’ai entendu qu’un cri. Le temps que j’arrive, ils avaient disparu. La seule preuve d’un viol est sa culotte sur la tombe du père Gouinard. Elle me révèle qu’elle connaissait bien Anne-Lise, hier soir, elle sortait de chez elle, elle n’en avait pas.
Vu que le dialogue devient scabreux, j’évite de m’attarder à ce propos. Je reconnais que j’ignore d’où vient ce bout de tissu. Elle me dit qu’Alfred malgré son âge était un chaud lapin. Son père qui chasse le papillon l’a déjà aperçu pistonner des femmes, ils étaient couchés dans la broussaille. Elle nomme le père Gouinard par son prénom. Peut-être est-ce une familiarité ?
Elle me quitte, en m’offrant son numéro de téléphone, au cas où je me rappellerais quelque chose. Je lui donne le mien si jamais elle avait besoin de parler.
Chez moi, je me rends compte que je vis ici depuis six mois, mais je n’ai jamais rien vu de spécial. J’étais persuadé que tout le monde dormait même la journée. Ce village est loin d’être un dortoir, quoi que j’aie pu le croire.
Le lendemain, à trois heures du matin, un cri secoue la nuit. À la fenêtre, j’aperçois Angélique perchée sur la fontaine, revêtue juste d’une culotte, dix cochons l’encerclaient. Prenant mon courage à deux mains, je descendis lui porter secours. Je me transforme en chevalier Bayard, Pierre Terrail n’avait aucune peur, le brave homme, il a laissé son nom dans l’histoire. Je m’approche de la fontaine. J’entends le grognement infernal des porcs. Le hurlement des loups me pétrifie. Angélique me supplie de l’aider. Je pousse les cochons comme je peux, un énorme goret essaye de grimper à la fontaine. Debout, il est aussi grand que moi, il a l’air monstrueux. Angélique m’implore, car il désire l’engrosser. Je comprends le sens de l’expression, les amours campagnards. Je n’imaginais pas une telle promiscuité entre les animaux et les paysans.
Je recule, j’aperçois un râteau, je les fais déguerpir en les frappant. La demoiselle me montre ses chaussures et des habits en piteux état, je les ramasse et je les lui tends. Son short est en lambeau. Son teeshirt est déchiré, les cochons ont commencé à manger ses baskets. Elle m’abandonne son short et son teeshirt. Elle enfile, tant bien que mal, ses baskets. Elle m’invite à boire un café dans sa chambre. J’accepte en lâchant ma prudence habituelle. Elle me désigne une échelle posée devant l’épicerie, elle grimpe, je le suis en regardant le sol.
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