Latest posts

dérive

Deux hommes discutent assis sur un banc en regardant l’océan, une tempête se lève. Le vent balaie la plage. Eux seuls observent les vagues qui grossissent.

Je suis l’un d’eux. Je parle de moi parfois en utilisant le pronom « il ». Au lieu de dire « je suis là-bas ». J'affirme : "Il est là-bas." Je n’aime pas parler de moi. Quelle drôle d’idée.

─ Michel n’es-tu par émerveillé par ces flots, cette étendue d’eau ?

─ Non, pour moi, l’océan est un voleur. Il m’a volé mon père. Enfant, je suis venu voir l’océan attendre mon père. Il était marin.

Il me raconte encore une fois l’histoire de son père, de sa mère et lui. Je la connais par cœur.

Un jour de tempête, son bateau sombra. Il l’a attendu longtemps. Il l’attend encore, et depuis il maudit la mer et les océans du monde entier. Il avait 5 ans, quand il l’a su, il est rentré seul de l’école maternelle, il a trouvé ma mère en pleurs, un vent violent frappait la falaise si fragile.

Dehors tout volait les feuilles, les arbres se penchaient, le vent venait de l’Océan. Tout le monde savait que des hommes seront encore perdus en mer. Ici, on a toujours pleuré des morts en mer. C’est une habitude, aujourd’hui tout le monde revient des pêches. La pêche utilise moins d’homme qu’hier, mais à l’intérieur de nos côtes, on connait les noms des bateaux perdus en mer. Le temps les a gravés en la mémoire de tout un chacun. Les hommes étaient fiers et courageux, la mer garde les plus beaux d’entre eux.

Les femmes pleurent le soir, les enfants prirent pour leur père, oncle une personne de la famille que la mer a avalée. La mer est la grande tueuse. Elle avale les hommes et ne les rends pas. Personne ne sait si avec le temps, ils ne vont pas revenir. La mer est criminelle, elle garde les corps pour leur faire croire que les morts reviennent. Mais les marins perdus en mer se sont égarés pour toujours.

─ Tu vois, je suis venu tous les jours voir si mon père revenait. Ma mère travaillait et rentrait tard. Moi, tous les jours, j’ai attendu mon père. J’ai toujours eu besoin d’un père, la mer la garder Elle ne m’a même pas dit ton père est mort. La mer triche. J’ai patienté et pleuré au vent. Je me suis promis de ne jamais devenir marin.

Je dois tuer Dieu, j’ai cette idée en marchant avec Michel, ses pas allaient plus vite. Comment faut-il se prendre pour tuer Dieu ? La chose n’était pas facile, en 50 ans, il n’avait jamais lu de récit d’une tentative d’assassinat contre ce personnage. Pourtant, il n’est pas le seul à souffrir de la faute de Dieu. Il est malin, il doit se méfier, il se cache partout. L’empoissonnement serait le plus simple, mais il faudrait lui tendre un piège, lui offrir un repas avec de la mort aux rats.

Couché sur mon canapé, je laisse défiler mes délires paranos. Être ou ne pas être, je dis un verbe d’état, il décrit mon état, il ne m’apprend lequel est-ce. La radio diffuse une musique qui rend fou, pire que le parfum des femmes.  L’odeur suave de la peau d’une femme rend fou. Les renards à l’affut flairent la moindre proie. Le lapin de la prairie à plus d’un tour dans son sac.

Je bois une gorgée de rhum, je ne suis peut-être qu’un pirate. Samedi dans cette petite ville bretonne, je bois du rhum, je ne cherche que l’ivresse. Je désire partir vers l’oubli. Depuis mes dix-huit ans, je m’enfuis. Je souhaite à échapper à quelque chose, mais j’ignore quoi. Je suis un presque vagabond, j’ai cinquante ans.

J’écoute Mick Jagger miauler, ce type, il miaule une vieille chanson de blues.

Dimanche matin, levé d’un bond, je suis monté sur ressort. Ma bouteille de rhum est vide, c’est ma drogue dure, c’est mon héroïne.

Depuis six mois, je vis ici, je voyage, je ne veux pas laisser de traces de mon existence.

 Je me dirige vers une petite épicerie ouverte le dimanche. Je vais chercher mon seul remède à mes angoisses : l’alcool. En marchant, je fredonne en tête une vieille chanson française : « j’ai deux amours ». La joie de pouvoir boire, m’enivrer m’apporte un immense plaisir, comme certains en suivant leur conquête féminine. Ma jouissance ne vient pas de la femme, mais de l’alcool qui vient embrumer mon esprit et me permettre d’échouer sur des rêves perdus, de sombrer des bateaux sur des rivages inhospitaliers. Je choisis une bouteille de rhum en discutant avec la caissière, je lui raconte que j’aime manger des fruits flambés au rhum.

Je sais que je dois toujours donner une excuse à mon intempérance. La liberté consiste à vivre comme un veau qui va à l’abattoir.

Je n’ai pas menti à la caissière. Lors de mon enfance, ma mère faisait flamber des fruits au rhum et les laisser tremper dans le jus toute une nuit, j’en ai encore le goût en bouche. Ce n’est pas la madeleine de Proust, mais le rhum de ma mère, la salive en a gardé le goût de ce temps perdu à jamais.

En quittant l’épicerie, je viens rejoindre l’océan. C’est un besoin. Arrivé à son bord, je choisis une petite crique oubliée. Je m’installe sur les galets, j’ouvre la bouteille et je commence à boire quelques gorgées. Le matin, le rhum a du mal à descendre. Les petites gorgées me réchauffent le corps, je me sens parcouru de frissons. J’aime cette sensation. L’alcool prend le contrôle de mon corps avant de prendre le contrôle de mon esprit. Je sens la chaleur dans mon corps, je bois de plus grosses gorgées. Le rhum rend mon esprit incontrôlable. J’imagine être en mer dans le monde des flibustiers, je suis revenu en enfance. Je m’invente des histoires. Les autres quand ils boivent, ils sont en groupe. Ils ne connaissent pas les merveilles de la rêverie alcoolisée. En groupe, on n’est pas replié sur soi comme quand on est seul. C’est la même chose dans les bars, en groupe, on discute dans le groupe, on ne rêve pas, quand on est seul on part en voyage, l’esprit voyage, il quitte le corps.

  L’alcool me fit m’endormir à même les galets. Je me réveille vers 16 heures. Je rentre chez moi. Sur le chemin, j’essaye d’avoir une allure digne. Mais, j’ai encore mon esprit qui est alcoolisé, il me reste du rhum. Je n’ai pas tout bu.

Le chez-moi est provisoire, il n’existera que pour la durée de mon séjour. Je rentre dans la pièce qui me sert de chambre, cuisine, salle de bain. J’habite un vieil immeuble, les WC sur les paliers, l’immeuble est divisé en une quinzaine de chambres. Je ne connais personne. Je viens de l’intérieur des terres. Cela fait longtemps que j’ai quitté ma ville qui m’a vu naître. Aujourd’hui, je n’ai plus d’attache. Je vais de villes en villes. J’avais un but arriver à l’océan, j’y suis, maintenant, il me reste à le franchir ou mourir. Je ne peux plus reculer, je suis arrivé à mon rêve d’enfant. Je ne peux pas trahir mon rêve, je dois m’en aller ou crever, je n’ai pas d’autres alternatives.

Mon logis, mon repère, ma tanière est composé d’un lit, une table et deux chaises. Un petit réfrigérateur orne un coin de la pièce. Il y a deux placards encastrés dans les murs. J’y range deux ou trois habits de rechange, une menue vaisselle, un paquet de lessive, un balai, une serpillière, du produit pour la vaisselle, du nettoyant pour le sol, un rasoir, du savon à barbe. Je n’ai aucun souvenir de ma vie d’avant. Je l’ai enterré. J’ai tout oublié. Tout a sombré dans le naufrage de ma vie. Mon existence s’est noyée, elle a péri.

Posted in: Écrits en attente

Leave a comment