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Nous n'irons plus au bois

Je me lève. Mon mobile indique cinq heures du matin, avec ma femme et mes enfants, nous allons cueillir des champignons. Je préfèrerais des cèpes. J’adore arpenter les bois.

Je bois un café, j’ai préparé une hotte, je compte la remplir. Sous la douche, je chante dans le but de me donner du courage. Le temps est brumeux. Le soleil devrait se lever. Une légère bruine tombe.

Ma femme me rejoint, elle m’apprend qu’elle présent un danger ce matin, mais elle ne parvient pas à le déterminer. Elle aimerait retourner au lit. Je ne réponds, le marc de café, et jeux de tarots, ce n’est pas ce que j’aime. Je garde les pieds sur terre.

Mes filles se lèvent, le concerto des plaintes va bientôt commencer. Le pays préféré des femmes est le mur des lamentations.

Elles déjeunent ensemble. Je lis les actualités sur google. L’information continu c’est Google.

Au moment du départ, j’ouvre la marche avec mes bottes en caoutchouc, on a tous adopté ce genre de chaussures, elles sont pratiques quand le sol est gluant. J’adore le bruit de succion quand le botte se décolle de la boue.

Nous pénétrons au sein de la masse feuillue, en faisant attention, les champignons sont un trésor. Nous évitons de les écraser. Pendant la première heure, nous sommes bredouilles, nous n’avons même pas aperçu une espèce dangereuse. J’aperçois une vingtaine de bolet coincé s entre une roche et un vieux chêne. La hotte remplie, j’entends un hurlement. Nous ne bougeons plus. Un bruit de course, de brindilles qui craquent s’approche de nous. Le brouillard s’introduit dans la forêt, épais, il devient un allié des peurs.

Nous nous regroupons, assis au pied d’un chêne, nous attendons. Nous ne voyons plus rien à dix mètres. Les hurlements se rapprochent, le pluriel s’impose, plusieurs animaux usent leurs cordes vocales. Je pense à des loups. Léa, ma fille de treize ans, confesse une peur effroyable des animaux. Elle me montre qu’elle a mis un bonnet rouge sur sa tête. Je lui susurre qu’elle n’a pas de pot de miel à offrir sa grand-mère.  Elle me rétorque que ce se sont des bêtes carnivores.

Ils sont tout près, je sens presque leur souffle. Le brouillard s’épaissit. Léa hurle, les bêtes grognent, je l’appelle, j’avance. Ma femme, Sarah aussi, mais on entend juste des cris. Elles l’entrainent. Bea et Lucie nous supplient de ne pas les abandonner. Je perçois leurs voix. Léa s’est tue. Les bruits d’un festin de bêtes sauvages me fait craindre le pire.

De nouveau ensemble, on se tient par la main, je me tourne vers dieu. Lui pourra nous apporter un peu de secours. La vie humaine est proche de celle de la bête. A quinze heures, le bouillard se lève. A quelques mètres de nous, une quinzaine de louveteaux se font les dents en dévorant un os qui pourrait être celui d’un fémur. Sanguinolent, le sang est encore frais.  Je refuse d’accepter l’impossible réalité. Nous avançons en appelant Léa, au prononcé de son prénom un hurlement retentit.

Je montre de gros champignons aux pieds d’un hêtre, ils ressemblent à des vessies de loup, mais eux les chapeaux dépassent allègrement les quarante-cinq centimètres. Le poids de la hotte en la soulevant me surprend, j’ai cru qu’on y avait jeté de grosses caillasses.

            Un chant harmonieux attire Béa vers une clairière. Elle vient de fêter ses quatorze ans, elle est mélomane, elle ne vit que par et pour la musique. Un moine au milieu de la clairière chante, il a une voix de castra. Ces divins religieux dont on coupait les choses pour qu’ils puissent chanter comme des anges. Il porte une cagoule et un capuchon, on ne voit pas son visage. Il extirpe de de sa manche un petit tube avec lequel on façonne des bulles à savons.  Il en souffle une énorme qui n’éclate pas au contact de Béa, mais la transporte vers le ciel. Je tente en sauton de crever la bulle, mais elle résiste. Elle part vers le firmament, Les bras au ciel, je contemple le moine se transformer en une torche humaine.

Je n’aperçois plus la bulle de savon, elle va exploser en s’approchant du soleil.

─ Quelque chose d’anormal est en train de se produire ! affirme ma femme

─ Nous devons quand même ramasser des champignons.

─ Elle m’a adressé un coucou de sa main, nous informe Lucie.

Je lui montre les champignons d’un geste de la main. Elle s’y dirige.

Des centaines de champignons, nous avons beaucoup de chances, ma hotte est pleine, ma femme m’apprend que deux hottes vides gisent aux pieds d’un sapin. Chacun avec une hotte, nous poursuivons ce ramassage miraculeux de champignons.

Ma femme me prévient qu’elle sent le bouquet de saucisses grillés, chipolatas et merguez.  Elle a raison. J’ai faim.  La fringale vient avec l’odeur, celle elle qui allume l’appétit, manger devient plus qu’une obsession. Comme des toxicomanes à la recherche d’une dose d’héroïne, nous marchons à la queue leu leu vers ce qui nous semble être un brasier.

Nous découvrons une pierre plate posé sur des brandons incandescents, des saucisses grilles. Mon ventre palpite.  Mes lèvres tremblent. Ma langue râpe le fonds de ma gorge. Les yeux de ma famille s’écarquillent, j’ai l’impression que les yeux vont s’éjecter.  Les canines de ma femme luisent comme de l’émeraude. Elles ont la dureté du diamant.

Une vieille femme au nez crochu nous regarde, elle nous invite à manger, je saute sur les saucisses. Je ne mange, je dévore, je ne me conduis pas comme un affamé mais comme un goinfre. Elle attrape de ses doigts noueux aux ongles violets la chevelure de Lucie, elle met une pomme en bouche. Lucie en croque un morceau des vers sortent de sa bouche. Elle jaune, puis rouge puis pale, son visage devient un arc en ciel.  La femme lui rase le crâne. Un serpent sort de la bouche de Lucie. Il a une longueur incroyable.  Lucie s’écroule au sol. Je mange comme un vorace. La vieille ajoute de plus en plus de saucisses. Ma femme ajoute des cèpes sur la plaque. L’odeur m’enchante.  Lucie agonise au sol, je compare ces gémissements au chant des cigales.

Rassasiés, nous faisons une sieste, je me tâtonne le ventre. La peau est tendue à l’extrême.

A mon réveil, il ne reste plus rien, un tas d’os empilé en vue de former un cône me fait un clin d’œil. Je ne peux croire que c’est Lucie, je l’appelle à me faire exploser les poumons. Seul le vent me répond. Ma femme se réveille. Elle m’interroge si Lucie a mangé des saucisses. Je lui demande lesquelles, elle me remémore le festin et la vieille. Je lui avoue piteusement d’en avoir gardé aucun souvenir. La hotte que portait Lucie s’est rempli de milliers d’asticots. Je rage, ils ont gâté les plus beaux champignons.

Alors que la nuit tombe, nous continuons notre chemin. Ce sentier, je ne le connais pas. Je ne l’ai jamais parcouru. Je m’étonne même de son existence.

Au milieu de la nuit, nous nous arrêtons, la nuit est fraîche. Nous construisons comme nous pouvons un abri. J’allume un feu de bois de telle sorte qu’il brule toute la nuit. Blottis l’un contre l’autre, nous frissons aux hurlements des loups, ils sont proches. L’ONF n’a recensé qu’un couple dans les environs. La meute serait à plus de cent kilomètres. Elle est là.

Le feu nous protège. Voilà, notre rempart, je prie qui ne pleuve pas. L’averse et les loups font bon ménage. Entre chien et loup, les intempéries augmentent l’imprévision.

Des grognements me font sursauter, ce n’est pas un loup, j’en suis certain. Cependant le nommer me parait impossible. Je deviens poète face aux dangers, j’écris des verres sans ardoise, demain, j’en garderai qu’un vague souvenir. Ce n’est qu’une ode qui est appelé à mourir.

Je m’extirpe de mon agri décidé d’alimenter le feu, il ne doit pas mourir, dans une mare, une dizaine de grenouilles croassent. Voilà mon péril nocturne, le feu reprend de plus belle, les flammes crépitent.

Où peuvent être mes filles ?

Au matin, je n’ai pas de café, pourquoi avons-nous continuer ? on aurait pu rebrousser chemin. J’aurai pu boire un café. Je réveille ma femme. Elle a faim.

Tous les deux nous cherchons des fraises de bois, au bout d’une demi-heure de marche, nous découvrons un cerf à moitié dévoré. Avec un opinel, je découpe des tranches.  La viande saignante entre les mains, nous retournons vers notre abri.  Je trouve difficilement une pierre que je dépose sur le foyer. La viande cuit. Devrais-je remercier les loups ?

Je dévore cette viande avec avidité. Quel drôle de petit déjeuner !

En continuant notre route, je m’aperçois qu’une immense flaque d’eau encombre le sentier. Je marche sur le bas coté boueux. Ma femme emprunte celui d’en face. Elle trébuche et tombe.

─ Que tu es gourde, ce n’est pas possible d’être si bête !

Sa main sort de l’eau, elle tente désespérément de sortir de ce mauvais pas.  Moi, je regarde une jeune femme en mini-jupe qui me sourit. Elle ressemble à un top-modèle.  Je me dirige vers elle, elle disparait comme la main de ma femme.

Je rentre chez moi, je n’ai qu’une hotte de champignon. Les porteuses se sont envolées.

Après avoir rejoint la route, je continue mon bonhomme de chemin, une voiture s’arrête, elle me demande mes papiers. Ils me forcent à entrer dans leur voiture malgré mes protestations.  Pendant six mois, je vais d’interrogatoires à ma cellule. Tout cela pour des champignons, cela revient un peu cher l’omette.

J’attends dans une salle attenant à un tribunal. Personne ne me croit au sujet de ma promenade dans les bois. On a retrouvé les corps, de ma femme et de mes filles, atrocement mutilés au sein de mon appartement. Ils m’accusent de les avoir tués.

Pourtant, je suis allé ramasser des cèpes avec Sarah, Léa, Béa et Lucie. Il pleuvait trop.

Posted in: Écrits en attente

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